« S’il vous plait… Je ne sais pas où je suis… »
Cinq heures. Chaque matin, c’était à la même heure que le réveil magique d’Alice la tirait de son doux sommeil dans un tintamarre assourdissant. C’était certes bien désagréable d’être réveillée ainsi, mais on ne peut plus efficace : Alice Cameron n’avait jamais eu de panne d’oreiller. Les paupières lourdes de sommeil, la jeune femme se tira péniblement de son lit encore tiède des songes de la nuit passée. Alice se saisit de sa baguette et soudain, ce fut comme si la maison toute entière s’éveillait. Dans la salle de bain, on entendait l’eau chaude qui coulait dans la baignoire d’où provenait d’agréables senteurs qui rappelaient l’Italie, ou la France, peut être.
La Gazette du Sorcier galopa jusqu’aux pieds de la jeune sorcière qui s’en saisit d’une main ferme et parcouru rapidement les actualités du regard avant de jeter le journal sur le lit d’un air las : de toute manière il n’y avait jamais vraiment rien eu d’intéressant à lire dans la Gazette du Sorcier. Elle enfila sa robe de chambre et jeta un œil hésitant vers sa table de chevet avant de glisser son réveil dans sa poche avec une idée bien précise derrière la tête.
D’un pas décidé, Alice descendit quatre à quatre les escaliers de bois qui grinçaient légèrement au contact de ses pieds nus et se dirigea vers la cuisine pour se servir d’un verre de jus de citrouilles qu’elle vida d’un trait, puis croqua pensivement dans une pomme tout en se remémorant le programme de sa journée. Furtivement, un éclair gris, zébré de noir traversa la pièce. C’était Elizabeth, le chat de Lorcan, une pauvre créature décharnée et squelettique qui arpentait la maison avec un morceau de laine entre ses dents déchiquetées, telle une âme en peine.
« Mon dieu, qu’il est laid ce chat. » murmura doucement Alice.
L’animal targua ses grands yeux verts, un peu globuleux vers la jeune femme et lâcha un ronronnement sonore avant de disparaître dans la pièce d’à côté. Son petit déjeuner terminé, Alice remonta au deuxième étage pour aller prendre son bain. Mais au lieu de s’arrêter devant la porte de la salle de bain, la brune progressa à pas de velours jusqu’à la porte du fond où Lorcan Scamander avait établi ses quartiers. Ses doigts fins se posèrent délicatement sur la porte d’ébène qu’elle poussa sans faire de bruit. La pénombre était telle qu’on ne distinguait pas le moindre meuble dans la chambre de Lorcan. Mais qu’importe, Alice connaissait les lieux par cœur.
Doucement, elle tira le réveil de sa poche et apposa sa baguette sur le cadran en marmonnant quelques formules inintelligibles. Enfin, elle remonta le mécanisme de ses doigts tremblotant. Un, deux, trois tours. Puis, sans crier garde, Alice jeta le réveil à l’aveuglette en direction de ce qui lui semblait être le lit de Lorcan. Et là, ce fut un tintamarre formidable. Un ensemble de cris et de hurlements grotesques accompagnés des bruits métalliques des ressorts qui jaillissaient hors du cadrant pour rebondir sur les murs en criant toujours la même phrase d’une voix stridente.
« TU ES EN RE-TARD-TARD-TARD ! »
Dans un grand éclat de rire, la malicieuse prit la fuite jusqu’à la salle de bain et verrouilla soigneusement la porte derrière elle pour éviter les éventuelles représailles de Lorcan. Le sourire aux lèvres, Alice se glissait dans la baignoire en céramique blanche tandis que les beuglements du réveil qui résonnaient dans le couloir depuis une bonne dizaine de minutes cessèrent tout à coup. Lorcan avait probablement réussi à détruire le réveil.
Sept heures.« Niveau 2. Département de la Justice Magique. » déclara la petite voix de l’ascenseur du Ministère d'une voix neutre.
D’un pas ferme, Alice s’avança en direction du Bureau des Aurors en saluant poliment les collègues qu’elle croisait en chemin. Sur les cloisons qui séparaient les différents box où travaillaient les Aurors, des portraits de criminels recherchés hurlaient silencieusement en lançant des regards assassins à la jeune Alice. Autrefois, la jeune femme détournait les yeux pour ne pas voir ces visages défigurés par la haine la dévisager ; mais depuis un an qu’elle travaillait là, Alice s’était accoutumée à leur présence. Elle avait prit l’habitude même d’étudier soigneusement les traits de leurs visages, dans l’espoir de contribuer un jour peut être à leur arrestation.
Ce matin là, pourtant, Alice n’adressa pas même un regard aux portraits, perdues dans ses pensées. Elle avait la très désagréable impression d’avoir oublié quelque chose. Alors que la sorcière se dirigeait vers le box qu’elle partageait avec deux autres stagiaires, Edward Schrödinger, un Auror d’une bonne cinquantaine d’année très respecté dans le milieu, l’arrêta d’un geste de la main. Son visage marqué par les années et ses épais sourcils broussailleux lui donnait un air sévère et terriblement intimidant; d'autant plus lorsque l'on savait que Schrödinger était considéré comme l'un des plus grands Aurors de son temps. Malgré elle, Alice eu un léger mouvement de recul que Schrödinger ne sembla pas le remarquer, au plus grand soulagement de la jeune fille.
« On nous signale de l’agitation sur le Chemin de Traverse. Cameron, je te prends en patrouille avec moi cette après-midi. Retrouves-moi dans mon bureau à quinze heures tapantes. »
La jeune femme masqua tant bien que mal son excitation, et hocha sérieusement la tête. Une fois arrivée dans son box cependant, elle laissa échapper un petit cri de joie. Une patrouille avec Schrödinger, voilà qui était prometteur!
« Et bien, Cameron tu m’as l’air de bien bonne humeur ce matin. »
Surprise, la sorcière fit volte face pour retrouver l’insupportable Branson, un autre Auror stagiaire. Le jeune homme la dévisageait d’un air satisfait, en tapotant la pointe de sa plume contre l’accoudoir de son fauteuil à elle qu’il était venu occuper tout naturellement, comme si tout lui était du.
« Qui peut donc te rendre si heureuse ? Un copain, peut être ? »
Alice se contenta de répondre d’un sourire amusé, sans pour autant prendre la peine d’engager la conversation. Depuis des années qu'Alice côtoyait Carl Branson, la sorcière avait compris qu’il ne valait mieux pas attirer son attention plus que de raison. Incorrigible fouineur, nul ne doutait que s’il venait un jour à interrompre sa carrière d’Auror, il se reconvertirait en journaliste à scandales.
« Voyons ma jolie, tu sais que tu peux tout me dire. »
« Ce ne sont pas tes affaires, Branson. »
Le brun affecta une mine faussement affligée et émit un petit sifflement. Il ne releva cependant pas, préférant sûrement revenir à la chasse aux informations plus tard. Il quitta le box des stagiaires d’un pas souple, puis se dirigea vers le box voisin pour tourmenter d’autres collègues. Alice frissonna malgré elle, et dans sa tête résonnait le sifflement de Branson, si semblable au sifflement du serpent tournant autour de sa proie.
Neuf heures.« Lumos. »
La voix doucereuse de Branson résonna dans la salle d'entrainement tandis que les chandelles qui ornaient les murs de pierre brute s'enflammaient les unes après les autres. Alice marcha d'un pas décidé vers le centre de la pièce où se tenait habituellement les duels. Eaton, un garçon taciturne aux cheveux blonds-gris qui avait autrefois compté parmi les disciples de Serdaigle lui emboita le pas, bientôt imité par Branson. Un délicieux frisson parcouru l'échine d'Alice, qui se délectait d'échapper pendant quelques aux tâches administratives dont écopaient les stagiaires au Bureau des Aurors. L'idée de se battre en duel avec ses camarades était d'autant plus délicieuse que cela leur était formellement interdit en l'absence d'un de leur superviseur. C'était la première fois que le trio de stagiaires enfreignait les règles pour se retrouver là et s’entraîner en cachette.
Alice en avait eu l'idée des mois auparavant, mais les choses avaient été un peu plus compliquées que prévu à mettre en place. Il n'était pas bien difficile de s'éclipser et de dérober la clé de la salle d'entrainement et personne ne se souciait d'eux tant que la paperasse qu'on leur avait confié était classée avant midi. Non, le plus difficile pour Alice avait été de convaincre ses deux camarades. Eaton avait toujours été un garçon sage et discret; si discret qu'Alice avait à peine remarqué sa présence à Poudlard lorsqu'ils y étudiaient. C'était à la Faculté de Sortilèges qu'ils avaient réellement fait connaissance, bien qu'ils ne se soient que très peu rapprochés pendant ces trois années.
Il était celui qui montrait le plus de réserves à enfreindre le règlement pour s'entraîner aux duels ou il manquait pourtant cruellement de dextérité. Branson, quand à lui, ne se souciait que de sa sécurité personnelle et avait longtemps refusé de prendre part aux entraînements frauduleux d'Alice, persuadé qu'il n'avait plus rien à apprendre en matière de duels. Bien qu'il soit sans conteste le plus doué des trois, il avait cependant changé d'avis, séduit par l'idée de pouvoir "mettre une raclée à Cameron et à l'autre coincé". Eaton avait finalement suivi, trop inquiet que sa lenteur ne le pénalise dans sa carrière d'Auror.
« Bon, on commence? » demanda Branson d'un ton agacé.
« Allez-y. » dit simplement Eaton.
«Tu as peur, le coincé? » ricana Branson.
« Laisses-le! » répondit sèchement Alice.
Branson se retourna vers elle et sa bouche se fendit en un rictus des plus déstabilisant. Alice ne se démonta pas et darda ses prunelles chocolat dans le regard charbonneux de son camarade.
« Et bien, à nous l'honneur Cameron. »
Les deux sorciers se placèrent face à face, puis s'inclinèrent sobrement. Ni l'un ni l'autre n'avait réellement envie de faire des courbettes. Eaton, désigné comme arbitre, se plaça légèrement en retrait à distance égale des deux duellistes. Alice leva sa baguette en position de garde, bientôt imitée par Branson.
« Je rappelle qu'il s'agit d'un entrainement et que vous ne devez en aucun cas blesser l'autre, ou pire, tuer l'autre. Les sortilèges impardonnables sont bien évidement proscrits et... »
« Pas la peine de nous rappeler les règles, le coincé. Contentes toi de compter et d'annoncer les règles. »
« Un... Deux... Trois! »
Les lèvres pincées, le poing droit serré contre sa baguette, Alice lança la toute première offensive, espérant ainsi prendre l'avantage sur son adversaire.
«
Stupefix! »
Sans mal, Branson stoppa le sortilège avec un Protego, informulé. Immédiatement, il riposta avec un sortilège identique à celui d'Alice que la jeune femme détourna aisément contre un mur voisin. Elle tenta un sortilège de désarmement que Branson contra au dernier moment.
«
Folloreille! » s'écria alors Branson.
«
Protego! Lashlabask! »
«
Protego! Experlliarmus! »
«
Protego! Impedimentum! »
Cette fois-ci, le sortilège frappa Branson en pleine poitrine et le garçon se retrouva projeté à terre. Il tenta de se relever, mais ses mouvements rendus ridiculement lents par le sortilège de son adversaire le rendait vulnérable. Intransigeante,Alice pointa sa baguette sur Branson.
«
Incarcerem! »
Des cordes jaillirent de la baguette magique de la jeune fille pour venir ligoter Branson, qui s'écroula sur le sol en poussant un grognement grotesque et la sorcière ne put retenir un sourire de satisfaction. Son moment de gloire fut cependant de courte durée car Branson se débarrassa des cordes avec une facilité déconcertante - probablement grâce à un
Finite Incantatem informulé - avant de pointer sa baguette sur elle.
«
Experlliarmus! »
«
Dentesaugmento! » s'écria Branson.
«
Protego! »
De justesse, Alice parvint à contrer le sort de son adversaire. Haletante, elle se trouvait cependant en bien mauvaise posture. De toute évidence, Branson était bien plus à l'aise à ce genre d'exercice. Bien plus rapide qu'elle, le jeune homme l'avait retranchée en position défensive, et plus le duel avançait, plus la jeune Alice se sentait faiblir. Elle allait bientôt perdre, ce n'était plus qu'une question de minutes.
«
Rictusempra! »
«
Protego! »
«
Furunculus! »
«
Protego! »
Alice était à bout de souffle: les attaques éclairs de Branson ne lui laissait guère le loisir de riposter, et elle était contrainte de reculer à chaque sort, tandis que son adversaire avançait toujours vers elle, l'air menaçant.
«
Petrificus totallus! »
«
Protego! »
«
Locomotor mortis! »
Cette fois-ci, la brune n'eu pas le temps de contrer le maléfice: ses jambes se retrouvèrent collées l'une à l'autre dans une posture de déséquilibre, et Alice tomba à la renverse. C'en était fini, elle avait perdu.
« Il semblerait que le serpent ait fait mordre la poussière à la lionne, une fois de plus. Je suis tout de même déçu. J'espérais te défigurer un peu avec mes maléfices. »
Branson affichait ce petit air satisfaisant qu'Alice exécrait au plus au point. À la plus grande surprise de la jeune fille, il lui tendit cependant la main pour l'aider à se relever, chose que la jeune fille accepta de bonne grâce.
« Sans rancune, Cameron? » lui demanda t-il après l'avoir relevée.
« Sans rancune. » répondit la jeune fille avec un sourire sincère.
Onze heures.La tête plongée dans les Avis de Recherches, Alice regrettait déjà la petite séance de duels qui s'était déroulée dans la matinée. Branson, malgré ses grands airs, l'avait beaucoup aidée à parfaire sa technique et sa rapidité et avait même réussi à convaincre Eaton d'utiliser des sortilèges plus agressifs. La jeune femme n'avait qu'une hâte: recommencer, encore et encore. Elle hésitait même à élargir leur cercle, mais elle ne trouvait personne d'autre de confiance parmi les stagiaires. Elle avait d'abord pensé à Stewart, fraîchement arrivée en septembre; mais il lui était vite apparu que la nouvelle avait une vision bien à elle de la loyauté. Alice avait ensuite envisagé Greene, mais le jeune homme était encore plus peureux qu'Eaton et elle voyait mal s’exposer à des sanctions disciplinaires. Quand aux autres, la jeune Auror ne les connaissait tout simplement pas assez bien pour avoir une opinion valable à leur sujet.
Après avoir classé le dernier Avis de Recherche, Alice les assembla en une pile de parchemin bien propre qu'elle posa à l'extrémité de son bureau. Bien qu'elle avait toujours eu horreur des tâches administratives, elle savait qu'il lui fallait passer par la pour être bien perçue par ses futurs confrères. D'autant plus que cette paperasse n'était pas dépourvue d'utilité: elle permettait à la jeune Auror de se familiariser avec les affaires en cours et les différentes types de procédures, choses qu'on ne lui avait nullement apprises en Faculté de Sortilèges. Machinalement, elle leva la tête pour rencontrer le regard de Schrödinger, qui venait tout juste de passer sa tête par l'encadrement de la porte.
« Cameron, as-tu envoyé les courriers concernant les mises à jour des registres d'Azkaban? »
« Oui, monsieur. »
« Et as-tu fini de trier les Avis de Recherche? »
« À l'instant, monsieur. »
« Et les lettres de signalement? »
« Elles sont sur votre bureau. »
Le visage de Schrödinger s'éclaira d'un sourire satisfait.
« Vous avez besoin d'autre chose? »
« J'ai quelques chose d'intéressant à te montrer, répondit-il avec aplomb. À moins que tu ne préfères partir en pause déjeuner? »
« Pas le moins du monde. »
Schrödinger lui fit un clin d'œil amical.
« Je savais que tu dirais, ça. Suis-moi. »
Sans plus attendre, la sorcière bondit de son siège, laissant plumes et parchemins derrière elle. Schrödinger marchait avec de grandes enjambées, si bien qu'Alice était obligée de trottiner derrière lui pour ne pas être semée. Ils zigzaguèrent entre les boxes, pour finalement s'arrêter dans l'un d'entre eux, visiblement celui de Schrödinger. Alice balaya rapidement la pièce du regard. Rien ne trahissait le quelconque indice sur la vie privée de l'Auror. Pas de photos de famille, de femme, d'enfant ou de chat. La sorcière salua silencieusement cette pudeur à laquelle elle s'identifiait. Elle avait parfois l'impression d'être la seule à ne pas s'épancher sur sa vie privée au travail. Schrödinger lui décocha un regard de biais, puis lui demanda d'un air intéressé:
« As-tu déjà participé à une intervention? »
« Une. »
« Ça s'est bien passé? »
« Pas vraiment, non. »
« Était-ce ta faute? »
« Non. »
« Alors c'est parfait. »
Schrödinger se retourna vers son bureau et commença à farfouiller dans une pile de parchemin, jetant ça et là les feuilles qui ne l'intéressaient pas comme un enfant gâté.
« Pourquoi avez-vous besoin de moi? » demanda simplement Alice.
« Je veux t'emmener en mission. Une
vraie mission. Pas ces patrouilles à deux noises que l'on vous impose lorsque vous êtes encore en formation. »
Enfin, il tira un parchemin de sa pile qu'il brandit en l'air, avec un petit rire de satisfaction.
« Je l'ai trouvé. »
Il fit volte-face vers Alice, et lui tendit une photo d'un visage masculin on ne peut plus connu dans le Royaume-Uni sorcier.
« C'est... » commença Alice.
« Oui, Cameron. Jacob Dragonneau. Fils d'Hélios Dragonneau, ancien roi - ou tyran si tu préfères - d'Angleterre. Porté disparu depuis plus de huit mois. Toi, et moi, nous allons partir à sa recherche. »
Treize heures.« Tu es en retard, Alice. »
Le souffle court, l’intéressée se laissa tomber sur une chaise en face son amie, Maybel une grande blonde à l’air affable qui pianotait sur son téléphone sans même un regard pour la jeune sorcière.
« Désolée, May j’avais une affaire urgente à régler. »
« Tu aurais pu me prévenir. »
« J’ai laissé mon téléphone à la maison. »
Maybel leva des yeux agacés en direction de son interlocutrice, avant de retourner à son téléphone en appuyant sur les touches comme une forcenée. Inquiète, Alice se mordit nerveusement la lèvre : elle savait pertinemment qu’elle n’avait pas été trop à la hauteur comme amie pour Maybel ces derniers temps. Emportée par le tourbillon de sa vie sorcière, Alice décrochait un peu trop souvent de son existence moldue, oubliant parfois ses attaches dans cet autre monde auquel elle se sentait désormais si étrangère.
« Je suis vraiment désolée, Maybel. »
La blonde lâcha finalement son téléphone, qu’elle déposa d’un geste lent sur la table de restaurant. La jeune moldue sembla prendre sur elle-même et désigna la joue droite d’Alice sur un ton moins abrupt :
« Tu as de la saleté sur le visage. »
Zut, sûrement de la Poudre de Cheminette. Alice attrapa une serviette avec laquelle elle s’essuya vigoureusement la joue, puis déclara sur un ton faussement désinvolte :
« J’ai sûrement choppé ça dans le métro. »
« Tu t’es frottée contre les murs? » demanda Maybel avant d’éclater de rire.
Alice ne pu se retenir de rire à son tour. Le fou rire passé, les deux jeunes femmes se regardèrent avec la complicité d’antant. Enfin la tension était brisée. Un serveur qui semblait guetter le bon moment pour prendre les commandes, profita de cet éclat de rire pour demander d'un ton commercial:
« Puis-je prendre vos commandes, mesdemoiselles? »
« Un plat du jour, s'il vous plait. » demanda prestement Maybel.
« Mettez en deux, s'il vous plait. » ajouta Alice.
Le serveur hocha la tête d'un air calme avant de repartir en direction des cuisines.
« Tu te rappelles lorsque nous étions encore à Bristol? » demanda Maybel d'un ton brusque.
Alice hocha la tête, et Maybel la darda de son regard azuré si profond qu'il arracha un frissonnement à la jeune sorcière. Nostalgique, Maybel s'embarqua dans une description confuse de ses souvenirs.
« Tu te souviens du port, ou on jouait lorsqu'on était gamines? Et du parc, ou on passait tout notre temps? On était tout le temps dehors à l'époque, on s'en moquait pas mal du temps dégueulasse et de la boue qui bousillait nos pompes. Le nombre de fois ou je suis rentrée à la maison, et que ma mère gueulait parce que j'avais déchiré mon manteau ou salit ma jupe d'uniforme! C'était des bons moments, on était pareilles, toi et moi à l'époque... »
Accueillant ces souvenirs d'un sourire attendri, Alice se laissait doucement aller dans les flots de sa mémoire. Comme Maybel, Alice associait cette douce époque à l'insouciance. Elle se figurait dans les moindres détails les scènes de leur enfance que son amie avait vaguement décrites. Elle se souvenait la petite école privée de Bristol ou elles s’étaient rencontrées dés le premier jour, deux petites filles à l’air perdu vêtues de leurs jolis uniformes bleu marine. Sept ans, passés ensemble à apprendre docilement les préceptes les plus basiques de la vie moldue: lire, compter, dessiner...
L'école leur fournissait des occupations triviales en dessous de leur intelligence qui permettait aux deux fillettes de se hisser parmi les premières de leur classe sans trop d'effort. Ainsi livrées à l’oisiveté, Alice et Maybel avait monopolisé tout leur temps libre pour des jeux d'imaginaire qui les transportait dans des pays fantastiques ou elles devenaient des êtres d'exception. L'apparition des pouvoirs magiques de la jolie petite Alice s'était alors faite tout naturellement, nourrie par l'imagination fertile de l'enfant. Enfant, déjà, Alice avait bénéficié d’un excellent contrôle de ses émotions et de ses actes, ainsi les manifestations de son potentiel magique étaient passées inaperçues en dehors du cercle familial.
Nul accident n'était venu n'était venu troubler la quiétude de ces douces années. Alice avait toujours su qu'elle était différente, et ses parents avaient accepté la chose avec bien plus de facilité qu'elle ne l'aurait cru. Sa lettre de Poudlard était venue confirmer les théories que les Cameron avaient échafaudées au fil des ans et ils accueillirent avec une tranquillité confiante la magie et le surnaturel au sein de leur foyer. Cette enfance idyllique avait succédé à une adolescence heureuse à Pouldlard, et Alice était entrée dans l'âge adulte avec la confiance et la tranquillité de ceux qui ont été épargnés par les aléas de l'existence.
« Et puis tout a changé. »
Arrachée à sa rêverie par le ton maussade de Maybel, Alice cligna des yeux sans trop comprendre.
« On s’est éloignées, ne dit pas le contraire. Je pensais que ça serait différent, maintenant qu’on vit au même endroit. Mais avec ton boulot au MI5, tu mènes une vie palpitante et tu n’es quasiment jamais à Londres, alors que moi je suis bloquée avec mon boulot minable à la
city, les yeux fixés sur un ordinateur toute la journée. »
Alice prit les mains de Maybel entre les siennes et la regarda droit dans les yeux.
« Écoutes moi, May. Peu importe la distance ou les choses qui nous sépare, je serais toujours là pour toi. »
Maybel la gratifia d’un sourire à demi rassuré lorsque le serveur débarqua avec deux assiettes fumantes.
« Deux plats du jour, deux ! »
Et leurs mains se séparèrent.
Quinze heures.
Les yeux fixés sur les ménagères qui se poussaient dans tout les sens devant Fleury & Bott, Alice ne put dissimuler un sourire amusé. C’était comme si toutes les sorcières du Royaume Uni qui avaient dépassé la soixantaine s’étaient donnée rendez-vous cet après-midi là sur le Chemin de Traverse. Alice n’aurait jamais imaginé que la sortie de la biographie de Céléstina Moldubec puisse ainsi agiter les foules. Après, cela faisait plusieurs décennies que la chanteuse était tombée dans l’oubli. Mais les vielles sorcières n’avaient pas oublié celle qui les avait fait danser et chanter à tue-tête pendant leurs nuits de jeunesse, et elles témoignaient aujourd’hui la même ferveur qu’autrefois. Les vendeurs de chez Fleury & Bott semblaient on ne peut plus déborder, et un vendeur aux cheveux blonds platines peinait à gérer le flux de clientes dans le magasin.
Amusée, la jeune Auror jeta un regard de biais à Schrödinger, qui semblait peu à l’aise dans cette ébullition féminine aux couleurs criardes et aux piaillements incessants. Cette hystérie ambiante semblait l’agacer fortement, d’autant que la plupart des vielles ménagères lui jetaient des regards aguicheurs. Un peu plus loin, un groupe de septuagénaires le montrait du doigt, tout en échangeant des ricanements stupides d’adolescentes. Alice tourna la tête, par pudeur pour la gêne de Schrödinger et se retrouva nez à nez avec une vielle sorcière en robe fuchsia et chapeau pointu poussiéreux. La vielle femme chantait d’une voix de crécelle les paroles qui avaient rendu Célestina célèbre en 1968, pour le plus grand déplaisir d’Alice :
Oh, viens, viens remuer mon chaudron
Et si tu t'y prends comme il faut
Je te ferai bouillir une grande passion
Pour te garder ce soir près de moi bien au chaud
Tout en chantant, la sorcière s’approchait d’Alice, et la jeune femme ne put s’empêcher de remarquer avec un certain dégoût ses yeux globuleux - qui semblaient d’ailleurs à deux doigts d’êtres expulsés de leurs orbites - et une désagréable haleine qui semblait combiner des senteurs plus désagréables les unes que les autres. La jeune femme eu un mouvement de recul, et elle marcha malencontreusement sur le pied d’une autre femme qui la repoussa sur sa voisine avec un claquement de langue irrité. Bientôt, la jeune Auror se retrouva ballottée entre des femmes impatientes, qui l’entrainaient de plus en plus prés de la boutique. Schrödinger lui attrapa fermement le bras et l’emmena hors de la foule, au plus grand soulagement de la jeune femme.
« Merci. » soupira t’elle.
Son collège hocha la tête en guise de réponse.
Annecdote non terminée, histoire en cours d'écriture.