Une étrange pyramide se dressait devant moi, couverte d'une herbe verdissante, courtoisie de la pluie de mai. Les nuages gris couvraient la lande, ôtant l’éclat coloré que le printemps apportait. Je me tenais assez loin du monticule - les petites personnes qui gravaient vaillamment la côte ressemblaient à des fourmis disparates. Waterloo, Waterloo, Waterloo! Morne plaine. Un grand tyran avait connu ici sa défaite. Même plus d’un siècle plus tard, des personnes visitaient encore ce lieu; ces personnes se rappelaient la grandeur qui a chuté. Moi qui regardais de loin, je me demandais si à ma façon, j'étais déchu. Avais-je atteint un sommet duquel je serais tombé? Et puis, maintenant que j’étais au sol, est-ce qu'il y aurait quelqu'un qui ferait le pèlerinage pour commémorer ma défaite? Lily se souviendrait, car les âmes anciennes se souviennent de tout. Et Éléane ne laisserait jamais les images d'un Matthias blessé et pathétique s'évaporer de sa pensée de sitôt. Alors on se souviendrait de moi. On se souviendrait de ma chute.

« Matthias, il faut que tu arrêtes de penser ainsi. »

Une voix rauque murmura ces paroles. Une voix abîmée, égratignée, frêle et fragile. Une voix de porcelaine, brisée puis rapiécée plusieurs fois dà. Une petite voix. Légère et fluette. Je me retournai vers elle. Le vent accueillit mon visage d'un fouet inattendu.

« De quoi parles-tu? » L’impatience nuançait mon ton – effet du vent et de la pluie qui nous tombait dessus.

« Tu sais. Tu penses à toi. Et tu penses trop. Tu t’agaces. »

Je secouai la tête, feignant de n’avoir rien entendu. Je ne voulais pas répondre à cette remarque. Si je rétorquais, je me mettrais les pieds dans les plats et j’aboutirais avec une pire humeur.

« On rentre. Je n’aime pas cet endroit. »

[...]

« Vous êtes en retard. Où est Erin? »

Pearl n’aimait pas que l’on s’aventure loin pour très longtemps. Je comprenais. Depuis mars, nous étions fugitifs d’une force hostile qui demeurait inconnue. Mensonge. On se cachait d’Artémis. Les rôles que Pearl et moi avions joués dans la mort du roi étaient trop proéminents pour êtres oubliés; ainsi, nous craignons la vengeance de la princesse dragonne. Certes, ce sujet demeurait muet entre nous, mais il habitait tous nos mouvements.

« Je m’en fous. Adieu. »

C’est facile de fuir. Mais je n’aime pas être caché. Je n’en pouvais plus de toujours devoir revenir à un endroit avant la tombée de la nuit, de ne jamais être seul, de toujours me méfier d’une ombre ou d’un éclat de lumière. Pearl prenait soin d’Erin et moi, elle nous avait recueillis en dessous de son aile, mais ce n’est pas pour moi d’avoir une protectrice. Au fil des jours, ses plumes s’allongeaient, nous enveloppant de plus belle. Pour Erin, c’est bien, elle a besoin de ce duvet. Pour moi, cette étreinte m’étouffait et m’intoxiquait. Je manquais d’air. Mon escapade plus tôt dans la journée aurait dû me rassasier, mais ce fut une vaine tentative. J’avais besoin de me sortir de ce pays rempli de moldus. Je devais retourner en Angleterre.
[...]
Transplaner sur un bateau, ce n’est pas si évident que ça.

J’avais peut-être fait escale sur quatre bateaux différents avant de me rendre sur une côte britannique. J’étais tombé à l’eau plusieurs fois (compter devient un détail inutile). Les bateaux de pêches sont assez stables, mais les paquebots et les croisières, c’est une histoire un peu plus compliquée (qui ne sera pas explicitée ici). Prendre la voiture aurait peut-être été plus profitable.

J’étais pourtant en Angleterre maintenant. Le soleil du petit matin miroitait sur des vagues océaniques. Il faisait frais et la température se jumelait avec celle des Pays-Bas, mais peu importe, j’étais en Angleterre.

Qui était cet homme assis là-bas, avec le petit enfant? Au loin, à la lisière du sable se trouvait des bâtiments : une colonie de vacance? Les occupants de la plage avaient-ils vu mon apparition instantanée? Probablement des moldus. Ceux-là ne sont pas assez éveillés pour se poser des questions outre-mesure. Je m’approchai, me surprenant moi-même. J’avais quand même besoin de savoir où je me trouvais.

[...]

« Lorcan Lovegood-Scamander. Je ne vous veut aucun mal. »
La baguette du psychiatre fou était dressée devant moi. Je fis un pas en arrière, posant ma main sur une forme oblongue dans ma poche.

[hrp : bonjour, je ne sais pas écrire de pavés]
[et j'ai trop lu d'Apollinaire]

« Lorcan Lovegood-Scamander. Je ne vous veut aucun mal. »

Reconnaissance silencieuse d'une voix qui s'éleva jusqu'à mes souvenirs datés d'une époque collégiale, je reconnaissais dans la présence du presqu'homme un garçon que j'avais dédaigné certainement durant ma dernière année de Poudlard.  Hobbes. Frère de Mia Hobbes. Garçon au regard trop intelligent pour que je le méprise complètement.. Mais il y avait cette intonation de voix trop légère, trop superficielle et trop irritante à mes oreilles pour que je ne retienne un soupir agacé. Gazouillant contre mes oreilles, Selim faisait fi de mon humeur, et tordit complètement mes cheveux, s'amusant avec perfidie dans mes boucles sombres.

« Pas une question de volonté. »

Je réhaussais l'enfant d'un mouvement d'épaule, le faisant éclater de rire, assurant une meilleure prise sur son petit corps. Mes yeux souriaient, devenus complètement moqueurs à l'égard de ce garçon face à moi.

« Il faudrait surtout se demander si tu le pourrais vraiment, Matthias Julius Hobbes. Sauf ton respect, je crains ne pas être vraiment effrayé. »

Quoique l'opiniâtreté d'un adolescent pouvait se révéler le pire des fondements. Je l'imaginais, pendant une seconde, décider de jouer de mes propres mots, pour me les renvoyer à la tête ; et pour une question d'honneur, me balancer un sortilège en pleine face. Mon sourire devint plus pointu. Comment pourrais-je réagir, si cela devait arriver ? Protéger Sélim, en un premier temps. Le protéger, le cacher complètement, l'enfermer, si besoin est, dans une de ces bulles dimensionnelles qu'un charme de niveau inférieur tels que ceux qu'on apprenait à Poudlard ne saurait défaire. Soit. Ensuite, je risquerai sans doute de me jeter sur lui, pour me livrer à ce jeu qui fini soit dans la défaite, soit dans la viscère. Et le parfum de la victoire, avec ses fragrances de sang, à n'en pas douter, me plaisait tout autant. J'eus un sourire.

« Et comment va un jeune homme comme toi, Hobbes ? Ce n'est pas courant pour deux sorciers de se croiser à un endroit pareil. Avais-tu rendez-vous avec la lune ? »

A demi-sérieux cette fois : un spleen vint m'embrasser, et me fit perdre ma gaieté. Sourire disparu, mes yeux voilés par le souvenir de l'enfant blonde qui se penchait sur moi pour me tuer. Angela, tes boucles folles me manquaient ; je rêvais de retrouver ton sourire et l'odeur de ta gorge afin de me noyer dans l'espoir d'un jour te voir enfoncer tes doigts dans mes chairs. Me tueras-tu un jour ?

« Pas le meilleur des temps. Je te l'accorde. Faisons un bout de chemin ensemble. »

« Pas une question de volonté. »

Je souris. En effet, c'était plutôt une question de précaution.

« Il faudrait surtout se demander si tu le pourrais vraiment, Matthias Julius Hobbes. Sauf ton respect, je crains ne pas être vraiment effrayé. »

Fut-il n'importe qui d'autre, j'aurais rétorqué avec tact et esprit avant de me retourner sur mes talons et partir dans la direction opposée. Mais c'était Lorcan Lovegood-Scamander. On ne s'enfuyait pas de lui, mais avec lui. C'est quelqu'un qui vogue sur ses propres vagues, qui se promène sur ses propres chemins. J'avais toujours détenu une certaine admiration envers lui, ainsi qu’un certain dédain.  C’était quelqu’un qui dictait ses propres lois et qui, pour se faire, était fou. Comment puis-je respecter un fou?

En l’observant, pourtant, je me disais qu’il n’avait pas l’air si loufoque qu’avant. Je l’avais connu brièvement lorsqu’il avait passé sa dernière année à Poudlard, sans toutefois m’en approcher, sans lui parler. Sa réputation parlait toute seule. Petit pré-adolescent que j’étais, je n’avais pas encore une réputation digne de ce nom pour pouvoir dialoguer avec la sienne.

L’enfant babillait. Il faisait du bruit. Il parlait. Je ne m’y connais pas avec les enfants, je ne sais quel verbe utilisé pour désigner le son qui sortait de sa bouche.

« Et comment va un jeune homme comme toi, Hobbes ? Ce n'est pas courant pour deux sorciers de se croiser à un endroit pareil. Avais-tu rendez-vous avec la lune ?
« Pas le meilleur des temps. Je te l'accorde. Faisons un bout de chemin ensemble. »

Je relevai la tête, délaissant l'attention que j'avais daigné porter envers le petit garçon. Scamander perdait son temps à vouloir m'entourlouper l'esprit avec ses jeux complaisants. Il n'étais pas du genre à garder une conversation banale très longtemps et, de plus, je n'avais pas la tête à ça.

« Je n'ai pas parcouru des kilomètres pour vous parler du beau temps. Mais si vous voulez parler de Lily, je suis prêt à rester. »

C'était le seul point que nous avions en commun. Un point troublant, soit, mais beau.