Des algues se balançaient au rythme d'un courant paisible; la cloche sonnait le couvre-feu. Le dernier jour d'école tirait à sa fin. Des hululements nocturnes se faisaient entendre tandis que les têtes des élèves dociles se posaient sur leurs oreillers de duvet. La jeune fille au bord du lac n'était certainement pas une de ceux-là. La nuit était son royaume, elle comptait s'y promener avec aise. Ses pieds blancs perçaient les flots verdâtres du lac. Les algues, elle ne les voyaient pas, et pourtant, elles étaient dessinées très concrètement dans son imagination. De longues plantes aquatiques, s'étirant, menançantes, pour attraper ses orteilles. D'un frisson soudain, Laila retira ses pieds de l'eau, de peur qu'ils se fassent avaler par une créature inconnue. Elle se leva, prit ses chaussettes ainsi que ses chaussures, contourna la berge du lac tranquillement, puis se rassit, pas trop loin de son point d'origine. Elle s'étendit dans l'herbe mouillée et regarda vers le ciel.

Ce ciel encore nuageux, ce ciel d'Écosse. Ce ciel qui privait Laila de la lune. Elle en était assez mécontente. Cet orbe reflétant la lumière du soleil lui servait de lumière. À cause de cela, elle devait allumer sa baguette, et cela attirerait forcément un professeur ou un préfet. Laila le faisait quand même car elle trouvait qu'elle n'avait rien à perdre. Elle était dehors, elle voulait être dehors, et elle exorcerait tous ceux qui l'en empêcherait. Toute vêtue de noir, comme son entourage, il n'y avait que le point lumineux de sa baguette qu'elle percevait. Même le bout de son nez lui était invisible.

Toute seule, comme elle l'était presque toujours à cette heure, elle pensait. L'année qu'elle avait vécue, les amis qu'elle s'était faits, les livres qu'elle n'avait pas eu le temps de lire. Des choses banales en somme. Elle se demandait si quelque chose d'excitant lui arriverait lorsqu'elle serait plus vieille. Elle n'attendait que ça: de vieillir. Les personnes plus âgées étaient presque toujours plus intéressantes, alors elle voulait leur ressembler. C'est plutôt enfantin comme désir, surtout si elle souhaite à tout prix être adulte.

«Lune, pourquoi ne pas me prêter un de tes miroirs, pour que je puisse recevoir la réflexion du soleil? Il fait si noir, et si je voulais me balader, je tomberais sûrement dans le lac et me ferai gobée par la pieuvre géante ou bien je me noirai. Je suis capable de nager, ce n'est pas ça, c'est juste que j'attendrais que quelqu'un vienne me sauver, pour que ce soit plus romantique, et puis, personne ne viendrait parce que je suis malchanceuse, et je mourrai. Même le fantôme de Mme Pomfraîche ne saurait me ressuciter. »

Pendant ce bref monologue adressé à la lune, des pas s'approchaient de la serdaigle étendue sur la pelouse odorante. Ils étaient discrets, alors celle-ci ne tourna pas sa tête pour identifier la personne qui s'approchait. Elle n'était pas facilement surprise, mais lorsqu'elle l'était, on s'en souvenait.

Les pas de la rousse brisaient le silence qui régnait dans le Château. C’était le dernier jour, tous les élèves étaient censés être dans leur dortoir après un couvre-feu légèrement plus tardif et certains préféraient passer leur dernière nuit la tête dans les toilettes d’avoir trop fait la fête. Certes, demain ils partiraient tous pour deux mois mais ce n’était pas une bonne raison pour faire la fête, d’après la préfète. Elle préférait largement attendre que tout le monde dorme pour descendre au bord du lac une dernière fois, peut-être faire un bain de minuit, qui sait, et regarder la lune jusqu’à l’aube. Seulement, les nuages en avaient décidé autrement et la Serpentard se contenterait de se baigner dans l’eau encore tiède du lac. L’été avait fait son apparition quelques semaines auparavant et les eaux avaient eu le temps de se réchauffer, bien que le ciel écossais ne leur laissait pas une semaine de beau temps non-stop.

Alessandra avait donc attendu que les bruits cessent dans la Salle Commune avant d’enfiler un maillot de bain sous une robe de chambre et de remonter pieds nus les escaliers qui menaient au Hall. Là, elle poussa la porte qui, pour une fois et heureusement pour elle, ne fit pas grincer les énormes gonds qui la soutenait et elle se retrouva dans le parc, laissant l’herbe mouillée jouer entre ses orteils. Elle aimait beaucoup cette sensation et le calme de la nuit l’apaisait, ce qui était rare vu les temps qui courraient. La nuit, elle s’interdisait de réfléchir aux problèmes d’adultes que ses parents lui mettaient sur les épaules quand bon leur semblait. Elle s’interdisait de réfléchir au climat politique qui mettait toute sa famille sur les nerfs, de ne pas savoir quand et où ils devaient intervenir. Elle prenait ce temps pour se reposer, réfléchir à son avenir, à sa vie et surtout, à ne pas réfléchir. Elle se baladait souvent sans but précis, juste pour le plaisir d’observer l’astre qui la dominait dans le ciel. Ses pas la menèrent au bord du lac sans qu’elle s’en rende vraiment compte et c’est seulement lorsqu’elle entendit la voix douce d’une jeune fille qu’elle revint à elle.

Lune, pourquoi ne pas me prêter un de tes miroirs, pour que je puisse recevoir la réflexion du soleil? Il fait si noir, et si je voulais me balader, je tomberais sûrement dans le lac et me ferai gobée par la pieuvre géante ou bien je me noierai. Je suis capable de nager, ce n'est pas ça, c'est juste que j'attendrais que quelqu'un vienne me sauver, pour que ce soit plus romantique, et puis, personne ne viendrait parce que je suis malchanceuse, et je mourrai. Même le fantôme de Mme Pomfraîche ne saurait me ressusciter.

Cela serait une mort tragique, n’est-il point ? Aucun homme au monde n’aurait l’idée de venir sauver une gamine qui n’a rien d’autre à faire que d’aller se noyer dans le lac, au beau milieu de la nuit, tout ça parce qu’elle a la flemme de bouger ses bras sur quoi… Cent mètres ? Tu dois être à Serdaigle pour penser de cette façon, petite.

Les mots d’Alessandra étaient peut-être méchants mais sa voix douce et rieuse pouvait laisser penser qu’elle plaisantait. A la gamine de voir comment elle allait interpréter la contradiction. La rousse continua d’avancer jusqu’à ce que ses pieds percent la surface lisse du lac, rencontrant avec bonheur le liquide et la substance gluante qui caractérisait si bien les fonds mystérieux du Lac. Tant qu’une bestiole ne venait pas lui grignoter les orteils, elle ne comptait pas bouger de là.

«Cela serait une mort tragique, n’est-il point ? Aucun homme au monde n’aurait l’idée de venir sauver une gamine qui n’a rien d’autre à faire que d’aller se noyer dans le lac, au beau milieu de la nuit, tout ça parce qu’elle a la flemme de bouger ses bras sur quoi… Cent mètres ? Tu dois être à Serdaigle pour penser de cette façon, petite.»

Laila se releva en sursaut et émit un cri, ce qui ne la mettait pas en valeur du tout. Le coeur encore palpitant, elle dut écouter les paroles condescendantes de la nouvelle venue. Celle-ci était une préfète, Laila la reconnaissait. Quoiqu'elle pourrait être dans le pétrin, la bleu et bronze n'avait pas l'impression que sa supérieure était un cafard. Si elle agissait de la bonne manière, elle pourrait éviter un retrait de points ou une convocation dans le bureau de son directeur de maison. Malheureusement, Laila ne connaissait pas suffisament sa locutrice pour pouvoir s'échapper de cette situation. De plus, on parle bien de Laila. Elle ne va pas être docile et soumise devant Alessandra. Oui, elle connaissait son nom. C'était une sixième année, serpentard. Laila l'avait toujours trouvé d'une beauté glaçante mais ne s'en était jamais trop approchée. Peut-être qu'il y a déjà eut une rencontre, mais cela c'était passé jadis et jadis, c'était loin. Bref. Quoique les paroles de celle qui était venue troubler sa solitude atteignait la dignité de Laila, celle-ci ne pouvait s'empêcher de se trouver plutôt ridicule. C'est bien elle qui avait commencé à parler à la lune? «Ça m'apprendra à penser tout haut. C'est alors que je détruis ma crédibilité...», marmona-t-elle, en souriant un peu. Sans plus attendre, Alessandra s'avança vers les flots et brisa les eaux du bout de ses orteilles. Hmm, si elle était là, c'est bien parce qu'elle aussi, elle ne respectait pas le couvre feu. Et puis alors, plusieurs personnes le faisaient. C'était bien la fin de l'année après tout.

En réfléchissant à ce qu'Alessandra avait dit, la serdaigle fixait la préfète. Celle-ci était de dos, et semblait très occupée à faire glisser ses pieds à la surface du lac. Mais la jeune fille arracha son regard de la silhouette de sa compagne, consciente de la pesenteur de ses yeux. "Gamine". Ce mot se butait sur les parois de la pensée de Laila. Certes elle était jeune, bien sûr qu'elle était un peu frivole, mais de là à être une gamine...

« C'est parfois pour échapper à ma gaminerie que je dis des choses stupides. Parce qu'en balbutiant des idioties à la Lune, je me rapproche du monde des grands. J'ai quinze ans; je suis peut-être folichonne, mais je ne suis pas gamine. Voilà, je viens juste de créer un argument fondé sur mon âge. La fatigue de la journée doit venir troubler mon sens de la réthorique. Non tu ferais mieux de ne pas m'écouter. Moi j'essaye de ne pas le faire en tout cas.»

La situation ne pouvait pas être pire. Laila, parlait à une vitesse nerveuse, et s'enfargeait dans ses mots. Pourquoi? Parce qu'elle essayait d'impressionner avec une réponse intelligente. Parfois, elle se demandait vraiment pourquoi elle était à Serdaigle.
Un peu pour s'échapper de ce qu'elle avait bredouillé, elle ajouta: «Oui, je suis à serdaigle» et s'assit dans l'herbe, le bout des pieds frôlants l'eau limpide.